La plupart
des chercheurs en entrepreneuriat pose un regard critique sur les méthodes et
outils d’accompagnement des
entrepreneurs généralement mobilisés. Une des
pistes de recherche face à ce constat d'inadaptation s’intéresse, dans une approche centrée
sur l’entrepreneur, à la compréhension des mécanismes
de pensée de celui-ci : l’entrepreneur agit avec sa propre
« boîte à outils » cognitive, qui influence sa capacité à analyser
les problèmes, traiter les informations, apprendre, s’adapter aux situations,
décider…Or il agit dans un contexte particulier, caractérisé par un fort degré
d’incertitude et de nouveauté, une pression temporelle élevée, une surcharge
informationnelle à gérer, et un contenu émotionnel élevé, autant de facteurs
identifiés comme risquant de mener à des raisonnements inappropriés (ou biais cognitifs, Busenitz et Barney, 1997 ; Baron, 1998).
Selon ce
point de vue, l’enjeu de l’accompagnement de l’entrepreneur devient non
plus d’accroître ses bases de
connaissance, mais de développer ses
capacités à faire évoluer son système de représentations mentales (Sammut,
1995). Ainsi, notre travail doctoral a porté sur l’analyse de la représentation
du créateur d’entreprise, définie comme un système d’interprétation qui régit sa relation au monde et aux
autres, oriente et organise ses conduites. Nous avons choisi d’étudier sa
représentation de ce qu’est une « Entreprise » pour lui, afin de
comprendre la nature de l’influence de
cette représentation initiale sur le déroulement de la création de l’entreprise
et éventuellement sa réussite. L’analyse longitudinale de quatre cas de créations d’entreprise, sur des périodes de un à
quatre ans, a permis de comprendre comment cette représentation initiale a été
forgée, quel est son contenu, comment elle évolue au fur-et-à-mesure de la
création de l’entreprise, et de poser des pistes de réflexion sur son influence
sur la réussite du processus.
Dans deux
des cas suivis, la nature de la représentation mentale initiale des créateurs d’entreprise
constituait un handicap, d’après les critères classiques d’évaluation des
conseillers : une représentation négative de l’entreprise en général et/ou
floue. Malgré cela, les entreprises créées sur ces bases cognitives peuvent
être considérées comme pérennes ou en voie de l’être. Comment expliquer
cela ?
Il apparaît
que d’une part ces créateurs ont fait preuve d’une réelle capacité à évoluer
dans leurs conceptions initiales, et que d’autre part leur propre vision du
monde, bien qu’a priori peu propice à la création d’une entreprise, était
suffisamment structurée pour constituer un guide de réflexion et de décision,
tenant lieu de vision stratégique. Finalement la nature de leur représentation
mentale a constitué un frein dans leur apprentissage entrepreneurial, mais pas
un handicap pour l’entreprise créée, bien au contraire.
Ainsi, il
serait dommage de décourager ou d’écarter des dispositifs d’appui les
entrepreneurs pour lesquels la composante « nouveauté » du projet est
forte, car leur capacité d’apprentissage
et de réflexivité est cruciale. D’autre part cet « écart »
semble parfois propice à une meilleure créativité.
Au-delà d’un
simple pesage des atouts du créateur et de son projet en termes d’adéquation
homme-projet, ce qui constitue l’approche classique des conseillers à la
création d’entreprise, il s’avère extrêmement pertinent de prendre en compte sa
représentation personnelle. L’apprentissage du créateur d’entreprise tout au
long du processus lui permet de renforcer la cohérence du système
individu/création de valeur.
Notre projet
est de poursuivre cette réflexion : comment faciliter l’apprentissage du
créateur ? Comment mieux prendre en compte ses particularités afin de lui
proposer un accompagnement mieux adapté à ses besoins ? Comment lui
permettre de réaliser les apprentissages indispensables, en préservant ses
particularités et en l’aidant à les transformer en atouts stratégiques pour sa
future entreprise ? Autant de questions qui peuvent permettre d’aider le
créateur d’entreprise à dépasser la réalisation du plan d’affaires, en
travaillant sur son système de représentations mentales.
Références
bibliographiques :
- Baron, R. (1998), Cognitive mechanisms in entrepreneurship : why and when entrepreneurs think differently than other people, Journal of Business venturing, 13:4, 275-284.
- Bornard, F. (2007), La représentation de l’objet Entreprise par son créateur : quelles influences sur le processus entrepreneurial ?, Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Université de Savoie.
- Busenitz, L. and Barney, J. (1997), Differences between entrepreneurs and managers in large organisations : biaises and heuristics in strategic decision making, Journal of Business Venturing, 12, 9-30.
- Noël, X. et Sénicourt, P. (2003), Entrepreneuriat : à la recherche d’une instrumentation, 69-101, Dans Réflexions sur les outils et les méthodes à l’usage du créateur d’entreprise, éd. de l’ADREG.
- Sammut, S. (1995), Contribution de la compréhension du processus de démarrage en petite entreprise, Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Université Montpellier I.
* Crédit Photo : Julie Bornard