Aujourd'hui, il faut être agile...oui, mais encore ?

Vous avez sans doute entendu parler de "méthodes agiles". Aujourd'hui l'agilité est un terme à la mode, qui évoque l'informatique, les start ups et l'univers numérique...
Si l'on étudie à la fois la presse économique et la littérature académique, on s'aperçoit que l'agilité est présentée comme une solution pour les entreprises, face aux environnements complexes et incertains dans lesquels elles doivent évoluer...Mais cette injonction faite aux entreprises et aux individus dits à "haut potentiel" laisse perplexe : 
Qu'est ce qu'être agile ??












Le terme d’agilité est issu du monde numérique, dès les années 1980, et a gagné en notoriété à l’occasion de la rédaction d’un Manifeste[2] aux Etats Unis. Par la suite une dizaine de méthodes dites agiles sont apparues (Scrum, XP…), utilisant le principe du développement itératif du projet (découpage en mini-projets, définis avec le client). Ce mouvement s’est ensuite élargi aux méthodes de management reposant sur l’amélioration continue de la qualité (lean management) grâce à des supports technologiques adaptés. L’agilité représente aujourd’hui un marché en expansion, constitué essentiellement de consultants ou de fournisseurs de solutions informatiques. 

Relayé par les journalistes économiques et les chefs d’entreprises, ces « méthodes agiles » mettent surtout en avant la nécessité de changer les habitudes de travail et de pensée[3]. Etre agile signifierait parvenir à s’adapter rapidement aux évolutions, à imaginer des solutions ingénieuses, à anticiper ces évolutions. « Flexibilité, agilité et créativité doivent devenir les maîtres mots de tout chef d’entreprise. La crise est peut-être derrière eux, mais la transition, elle, reste à faire »[1].

Or la signification du terme reste assez floue, l'agilité étant souvent assimilée à des notions voisines, telles que l’adaptabilité ou encore la flexibilité. Si l'on essaie d'y voir plus clair :
  • l'agilité ne se résume pas à la flexibilité : le roseau encaisse passivement les éléments et retrouve sa forme initiale, mais il n'évolue pas.
  • l'agilité ne se résume pas non plus à l'adaptabilité : s'adapter, c'est trouver des réponses aux évolutions subies, mais pas les anticiper.
Personnellement, les notions d'agilité organisationnelles me laissent perplexes et je me méfie des vendeurs de méthodes miracles. Mais la notion d'agilité cognitive me paraît intéressante à creuser (elle fait l'objet d'un article de recherche : F. Bornard et C.N. Briest Breda (2014), Développer l’esprit d’entreprendre, une question d’agilité dans la Revue de l’Entrepreneuriat, 2 : 13, pages 29-53, chez De Boeck ). Au niveau individuel, l'agilité d’une personne est définie comme une qualité. Il s’agit d’aisance, légèreté, rapidité, souplesse, vivacité (Le Petit Robert), à la fois physique (d'un acrobate, des doigts d'un pianiste) et intellectuelle (Une grande agilité d'esprit, Larousse). 
Au niveau cognitif, peu de chercheurs se sont attachés à la définir. Ceux-ci se sont intéressés aux cadres à haut potentiel, leaders, top managers, qui ont développé la capacité de mobiliser des expériences passées dans des situations nouvelles, de manière rapide et souple pour apprendre, réévaluer leurs modèles mentaux de référence. Des travaux en sciences militaires sur l'agilité cognitive sont également développés, autour de la notion d'état d'alerte cognitive : l’état de préparation mentale d’un militaire à réussir une mission et exploiter les opportunités quand elles se présentent, qui repose sur l’anticipation, la planification, l’initiative, l’intégration de la raison et de l’émotion, l’auto-synchronisation, l’auto-efficacité, la connaissance culturelle du terrain et la résilience...Toutes ces définitions tournent donc autour d'un processus d'apprentissage : l'agilité cognitive serait liée à une capacité d'apprentissage rapide et efficace.

Cependant, l'une des approches qui me semble la plus pertinente est celle Good et Yeganeh (2012), chercheurs en sciences cognitives et comportementales. Pour eux, il s'agit d'une capacité individuelle à mettre en pratique de manière consciente l’ouverture (openness) et le centrage (focus), sur les plans conceptuels et perceptuels, grâce à la flexibilité cognitive. L’ouverture (openness) consiste ainsi à remarquer et rechercher de nouvelles informations dans l’environnement, grâce à la pleine conscience (mindfulness), la curiosité, la créativité et la recherche de nouveauté ; La convergence est une capacité à s’opposer aux distractions entrantes, reposant sur une attention perceptuelle et conceptuelle étroite ; La flexibilité est une habileté nécessaire au passage rapide et efficace de l’ouverture au centrage. L'agilité cognitive entre en jeu dans la prise de décision dynamique, c'est-à-dire dans un flux continu d'informations qu'il faut parvenir à gérer pour prendre une décision alors que les paramètres de cette décision ont déjà changé. 

Cultiver cette capacité à passer en souplesse d'une logique à une autre, d'un type d'attention ouverte à fermée, à pivoter (voir le Lean start up) et à sentir quand c'est le moment de le faire, est sans doute fondamentale, en particulier pour qui s'intéresse aux entrepreneurs confrontés en permanence à la prise de décision, mais également à des processus de créativité puis d'analyse et de planification...ou aux étudiants, futurs acteurs de ces environnements complexes !





[1] L’Usine nouvelle, La crise est derrière nous ? la transition, elle, reste à faire…, 29.09.13.
[2] Dans l’Agile Manifesto, rédigé par dix-sept experts en développement logiciels quatre valeurs communes sont identifiées : les individus et leurs interactions avant les processus et les outils ; des fonctionnalités opérationnelles avant la documentation ;  la collaboration avec le client plutôt que contractualisation des relations ; l’acceptation du changement plutôt que la conformité aux plans.
[3] Thème d’une réunion du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants).